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Sujet: Re: Les poèmes du mois d'Octobre 2022 Sam 15 Oct 2022, 10:41
Titre : À une jeune Italienne Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Recueil : Poésies diverses (1838-1845).
Février grelottait blanc de givre et de neige ; La pluie, à flots soudains, fouettait l’angle des toits ; Et déjà tu disais : « Ô mon Dieu ! Quand pourrai-je Aller cueillir enfin la violette au bois ? »
Notre ciel est pleureur, et le printemps de France, Frileux comme l’hiver, s’assied près des tisons ; Paris est dans la boue au beau mois où Florence Égrène ses trésors sous l’émail des gazons.
Vois ! Les arbres noircis contournent leurs squelettes ; Ton âme s’est trompée à sa douce chaleur : Tes yeux bleus sont encore les seules violettes, Et le printemps ne rit que sur ta joue en fleur !
Théophile Gautier.
Maya
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Sujet: Re: Les poèmes du mois d'Octobre 2022 Dim 16 Oct 2022, 10:41
Titre : À une robe rose Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Recueil : Émaux et Camées (1852).
Que tu me plais dans cette robe Qui te déshabille si bien, Faisant jaillir ta gorge en globe, Montrant tout nu ton bras païen !
Frêle comme une aile d'abeille, Frais comme un coeur de rose-thé, Son tissu, caresse vermeille, Voltige autour de ta beauté.
De l'épiderme sur la soie Glissent des frissons argentés, Et l'étoffe à la chair renvoie Ses éclairs roses reflétés.
D'où te vient cette robe étrange Qui semble faite de ta chair, Trame vivante qui mélange Avec ta peau son rose clair ?
Est-ce à la rougeur de l'aurore, A la coquille de Vénus, Au bouton de sein près d'éclore, Que sont pris ces tons inconnus ?
Ou bien l'étoffe est-elle teinte Dans les roses de ta pudeur ? Non ; vingt fois modelée et peinte, Ta forme connaît sa splendeur.
Jetant le voile qui te pèse, Réalité que l'art rêva, Comme la princesse Borghèse Tu poserais pour Canova.
Et ces plis roses sont les lèvres De mes désirs inapaisés, Mettant au corps dont tu les sèvres Une tunique de baisers.
Théophile Gautier.
Maya
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Sujet: Re: Les poèmes du mois d'Octobre 2022 Lun 17 Oct 2022, 10:28
Titre : Au sommeil Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Recueil : La comédie de la mort (1838).
Sommeil, fils de la nuit et frère de la mort ; Écoute-moi, Sommeil : lasse de sa veillée, La lune, au fond du ciel, ferme l'œil et s'endort Et son dernier rayon, à travers la feuillée, Comme un baiser d'adieu, glisse amoureusement, Sur le front endormi de son bleuâtre amant, Par la porte d'ivoire et la porte de corne. Les songes vrais ou faux de l'Grèbe envolés, Peuplent seuls l'univers silencieux et morne ; Les cheveux de la nuit, d'étoiles d'or mêlés, Au long de son dos brun pendent tout débouclés ; Le vent même retient son haleine, et les mondes, Fatigués de tourner sur leurs muets pivots, S'arrêtent assoupis et suspendent leurs rondes.
Ô jeune homme charmant ! couronné de pavots, Qui tenant sur la main une patère noire, Pleine d'eau du Léthé, chaque nuit nous fais boire, Mieux que le doux Bacchus, l'oubli de nos travaux ; Enfant mystérieux, hermaphrodite étrange, Où la vie, au trépas, s'unit et se mélange, Et qui n'as de tous deux que ce qu'ils ont de beau ; Sous les épais rideaux de ton alcôve sombre, Du fond de ta caverne inconnue au soleil ; Je t'implore à genoux, écoute-moi, sommeil !
Je t'aime, ô doux sommeil ! Et je veux à ta gloire, Avec l'archet d'argent, sur la lyre d'ivoire, Chanter des vers plus doux que le miel de l'Hybla ; Pour t'apaiser je veux tuer le chien obscène, Dont le rauque aboiement si souvent te troubla, Et verser l'opium sur ton autel d'ébène. Je te donne le pas sur Phébus-Apollon, Et pourtant c'est un dieu jeune, sans barbe et blond, Un dieu tout rayonnant, aussi beau qu'une fille ; Je te préfère même à la blanche Vénus, Lorsque, sortant des eaux, le pied sur sa coquille, Elle fait au grand air baiser ses beaux seins nus, Et laisse aux blonds anneaux de ses cheveux de soie Se suspendre l'essaim des zéphirs ingénus ; Même au jeune Iacchus, le doux père de joie, A l'ivresse, à l'amour, à tout divin sommeil.
Tu seras bienvenu, soit que l'aurore blonde Lève du doigt le pan de son rideau vermeil, Soit, que les chevaux blancs qui traînent le soleil Enfoncent leurs naseaux et leur poitrail dans l'onde, Soit que la nuit dans l'air peigne ses noirs cheveux. Sous les arceaux muets de la grotte profonde, Où les songes légers mènent sans bruit leur ronde, Reçois bénignement mon encens et mes vœux, Sommeil, dieu triste et doux, consolateur du monde !
Théophile Gautier.
Maya
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Sujet: Re: Les poèmes du mois d'Octobre 2022 Mar 18 Oct 2022, 10:13
Titre : Barcarolle Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Recueil : La comédie de la mort (1838).
Dites, la jeune belle ! Où voulez-vous aller ? La voile ouvre son aile, La brise va souffler !
L'aviron est d'ivoire, Le pavillon de moire, Le gouvernail d'or fin ; J'ai pour lest une orange, Pour voile une aile d'ange, Pour mousse un séraphin.
Dites, la jeune belle ! Où voulez-vous aller ? La voile ouvre son aile, La brise va souffler !
Est-ce dans la Baltique, Sur la mer Pacifique, Dans l'île de Java ? Ou bien dans la Norvège, Cueillir la fleur de neige, Ou la fleur d'Angsoka ?
Dites, la jeune belle ! Où voulez-vous aller ? La voile ouvre son aile, La brise va souffler !
— Menez-moi, dit la belle, À la rive fidèle Où l'on aime toujours. — Cette rive, ma chère, On ne la connaît guère Au pays des amours.
Théophile Gautier.
Maya
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Sujet: Re: Les poèmes du mois d'Octobre 2022 Mer 19 Oct 2022, 09:55
Titre : Camélia et Pâquerette Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Recueil : Émaux et Camées (1852).
On admire les fleurs de serre Qui loin de leur soleil natal, Comme des joyaux mis sous verre, Brillent sous un ciel de cristal.
Sans que les brises les effleurent De leurs baisers mystérieux, Elles naissent, vivent et meurent Devant le regard curieux.
A l'abri de murs diaphanes, De leur sein ouvrant le trésor, Comme de belles courtisanes, Elles se vendent à prix d'or.
La porcelaine de la Chine Les reçoit par groupes coquets, Ou quelque main gantée et fine Au bal les balance en bouquets.
Mais souvent parmi l'herbe verte, Fuyant les yeux, fuyant les doigts, De silence et d'ombre couverte, Une fleur vit au fond des bois.
Un papillon blanc qui voltige, Un coup d'oeil au hasard jeté, Vous fait surprendre sur sa tige La fleur dans sa simplicité.
Belle de sa parure agreste S'épanouissant au ciel bleu, Et versant son parfum modeste Pour la solitude et pour Dieu.
Sans toucher à son pur calice Qu'agite un frisson de pudeur, Vous respirez avec délice Son âme dans sa fraîche odeur.
Et tulipes au port superbe, Camélias si chers payés, Pour la petite fleur sous l'herbe En un instant, sont oubliés !
Théophile Gautier.
Maya
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Sujet: Re: Les poèmes du mois d'Octobre 2022 Jeu 20 Oct 2022, 09:22
Titre : Cariatides Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Recueil : La comédie de la mort (1838).
Un sculpteur m'a prêté l'œuvre de Michel-Ange, La chapelle Sixtine et le grand Jugement ; Je restai stupéfait à ce spectacle étrange Et me sentis ployer sous mon étonnement.
Ce sont des corps tordus dans toutes les postures, Des faces de lion avec des cols de bœuf, Des chairs comme du marbre et des musculatures À pouvoir d'un seul coup rompre un câble tout neuf.
Rien ne pèse sur eux, ni coupole ni voûtes, Pourtant leurs nerfs d'acier s'épuisent en efforts, La sueur de leurs bras semble pleuvoir en gouttes ; Qui donc les courbe ainsi, puisqu'ils sont aussi forts ?
C'est qu'ils portent un poids à fatiguer Alcide : Ils portent ta pensée, ô maître, sur leurs dos ; Sous un entablement, jamais cariatide Ne tendit son épaule à de plus lourds fardeaux.
Théophile Gautier.
Maya
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Sujet: Re: Les poèmes du mois d'Octobre 2022 Ven 21 Oct 2022, 10:55
Automne roux
Voici venu le temps d'automne
De la couleur de l'écureuil,
La saison des pluies monotones
Où sous les pas craquent les feuilles.
L'automne rouge attend l'hiver,
Blotti dans sa chaude maison ;
Le bel été, c'était hier,
Il faut se faire une raison.
Avant le blanc immaculé,
Octobre ne manque pas de charme
Il a sur les feuilles déposé
Des tons rouillés sans faire de drame.
Ne pleure pas. L'automne est doux :
La faune vit dessous les feuilles,
Hachant, décomposant beaucoup
Sous l’œil fripon de l'écureuil.
Olivier Briat
Maya
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Sujet: Re: Les poèmes du mois d'Octobre 2022 Sam 22 Oct 2022, 09:37
Titre : Cauchemar Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Recueil : Premières poésies (1830).
Avec ses nerfs rompus, une main écorchée, Qui marche sans le corps dont elle est arrachée, Crispe ses doigts crochus armés d'ongles de fer Pour me saisir ; des feux pareils aux feux d'enfer Se croisent devant moi ; dans l'ombre, des yeux fauves Rayonnent ; des vautours, à cous rouges et chauves, Battent mon front de l'aile en poussant des cris sourds ; En vain pour me sauver je lève mes pieds lourds, Des flots de plomb fondu subitement les baignent, À des pointes d'acier ils se heurtent et saignent, Meurtris et disloqués ; et mon dos cependant, Ruisselant de sueur, frissonne au souffle ardent De naseaux enflammés, de gueules haletantes : Les voilà, les voilà ! dans mes chairs palpitantes Je sens des becs d'oiseaux avides se plonger, Fouiller profondément, jusqu'aux os me ronger, Et puis des dents de loups et de serpents qui mordent Comme une scie aiguë, et des pinces qui tordent ; Ensuite le sol manque à mes pas chancelants : Un gouffre me reçoit ; sur des rochers brûlants, Sur des pics anguleux que la lune reflète, Tremblant, je roule, roule, et j'arrive squelette. Dans un marais de sang ; bientôt, spectres hideux, Des morts au teint bleuâtre en sortent deux à deux, Et, se penchant vers moi, m'apprennent les mystères Que le trépas révèle aux pâles feudataires De son empire ; alors, étrange enchantement, Ce qui fut moi s'envole, et passe lentement À travers un brouillard couvrant les flèches grêles D'une église gothique aux moresques dentelles. Déchirant une proie enlevée au tombeau, En me voyant venir, tout joyeux, un corbeau Croasse, et, s'envolant aux steppes de l'Ukraine, Par un pouvoir magique à sa suite m'entraîne, Et j'aperçois bientôt, non loin d'un vieux manoir, À l'angle d'un taillis, surgir un gibet noir Soutenant un pendu ; d'effroyables sorcières Dansent autour, et moi, de fureurs carnassières Agité, je ressens un immense désir De broyer sous mes dents sa chair, et de saisir, Avec quelque lambeau de sa peau bleue et verte, Son cœur demi-pourri dans sa poitrine ouverte.
Théophile Gautier.
Maya
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Sujet: Re: Les poèmes du mois d'Octobre 2022 Dim 23 Oct 2022, 09:44
Titre : Ce monde-ci et l'autre Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Recueil : La comédie de la mort (1838).
Vos premières saisons à peine sont écloses, Enfant, et vous avez déjà vu plus de choses Qu'un vieillard qui trébuche au seuil de son tombeau. Tout ce que la nature a de grand et de beau, Tout ce que Dieu nous fit de sublimes spectacles, Les deux mondes ensemble avec tous leurs miracles. Que n'avez-vous pas vu ? Les montagnes, la mer, La neige et les palmiers, le printemps et l'hiver, L'Europe décrépite et la jeune Amérique ; Car votre peau cuivrée aux ardeurs du tropique, Sous le soleil en flamme et les cieux toujours bleus, S'est faite presque blanche à nos étés frileux. Votre enfance joyeuse a passé comme un rêve Dans la verte savane et sur la blonde grève ; Le vent vous apportait des parfums inconnus ; Le sauvage Océan baisait vos beaux pieds nus, Et comme une nourrice au seuil de sa demeure Chante et jette un hochet au nouveau-né qui pleure, Quand il vous voyait triste, il poussait devant vous Ses coquilles de moire et son murmure doux. Pour vous laisser passer, jam-roses et lianes Écartaient dans les bois leurs rideaux diaphanes ; Les tamaniers en fleurs vous prêtaient des abris ; Vous aviez pour jouer des nids de colibris ; Les papillons dorés vous éventaient de l'aile ; L'oiseau-mouche valsait avec la demoiselle ; Les magnolias penchaient la tête en souriant ; La fontaine au flot clair s'en allait babillant ; Les bengalis coquets, se mirant à son onde, Vous chantaient leur romance ; et, seule et vagabonde, Vous marchiez sans savoir par les petits chemins, Un refrain à la bouche et des fleurs dans les mains ! Aux heures du midi, nonchalante créole, Vous aviez le hamac et la sieste espagnole, Et la bonne négresse aux dents blanches qui rit Chassant les moucherons d'auprès de votre lit. Vous aviez tous les biens, heureuse créature, La belle liberté dans la belle nature ; Et puis un grand désir d'inconnu vous a pris, Vous avez voulu voir et la France et Paris. La brise a du vaisseau fait onder la bannière, Le vieux monstre Océan, secouant sa crinière Et courbant devant vous sa tête de lion, Sur son épaule bleue, avec soumission, Vous a jusques aux bords de la France vantée, Sans rugir une fois, fidèlement portée. Après celles de Dieu, les merveilles de l'art Ont étonné votre âme avec votre regard : Vous avez vu nos tours, nos palais, nos églises, Nos monuments tout noirs et nos coupoles grises, Nos beaux jardins royaux, où, de Grèce venus, Étrangers comme vous, frissonnent les dieux nus, Notre ciel morne et froid, notre horizon de brume, Où chaque maison dresse une gueule qui fume. Quel spectacle pour vous, ô fille du soleil, Vous toute brune encore de son baiser vermeil. La pluie a ruisselé sur vos vitres jaunies, Et, triste entre vos sœurs au foyer réunies, En entendant pleurer les bûches dans le feu, Vous avez regretté l'Amérique au ciel bleu, Et la mer amoureuse avec ses tièdes lames Qui se brodent d'argent et chantent sous les rames ; Les beaux lataniers verts, les palmiers chevelus, Les mangliers traînant leurs bras irrésolus ; Toute cette nature orientale et chaude, Où chaque herbe flamboie et semble une émeraude ; Et vous avez souffert, votre cœur a saigné, Vos yeux se sont levés vers ce ciel gris baigné D'une vapeur étrange et d'un brouillard de houille, Vers ces arbres chargés d'un feuillage de rouille ; Et vous avez compris, pâle fleur du désert, Que loin du sol natal votre arôme se perd, Qu'il vous faut le soleil et la blanche rosée Dont vous étiez là-bas toute jeune arrosée ; Les baisers parfumés des brises de la mer, La place libre au ciel, l'espace et le grand air ; Et, pour s'y renouer, l'hymne saint des poètes Au fond de vous trouva des fibres toutes prêtes ; Au chœur mélodieux votre voix put s'unir ; Le prisme du regret dorant le souvenir De cent petits détails, de mille circonstances, Les vers naissaient en foule et se groupaient par stances. Chaque larme furtive échappée à vos yeux Se condensait en perle, en joyau précieux ; Dans le rythme profond votre jeune pensée Brillait plus savamment, chaque jour enchâssée ; Vous avez pénétré les mystères de l'art. Aussi, tout éplorée, avant votre départ, Pour vous baiser au front, la belle poésie Vous a parmi vos sœurs avec amour choisie ; Pour dire votre cœur vous avez une voix, Entre deux univers Dieu vous laissait le choix ; Vous avez pris de l'un, heureux sort que le vôtre ! De quoi vous faire aimer et regretter dans l'autre.
Théophile Gautier.
Maya
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Sujet: Re: Les poèmes du mois d'Octobre 2022 Lun 24 Oct 2022, 10:07
Titre : Ce que disent les hirondelles Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Recueil : Émaux et Camées (1852).
Chanson d'automne.
Déjà plus d'une feuille sèche Parsème les gazons jaunis ; Soir et matin, la brise est fraîche, Hélas ! les beaux jours sont finis !
On voit s'ouvrir les fleurs que garde Le jardin, pour dernier trésor : Le dahlia met sa cocarde Et le souci sa toque d'or.
La pluie au bassin fait des bulles ; Les hirondelles sur le toit Tiennent des conciliabules : Voici l'hiver, voici le froid !
Elles s'assemblent par centaines, Se concertant pour le départ. L'une dit : " Oh ! que dans Athènes Il fait bon sur le vieux rempart !
" Tous les ans j'y vais et je niche Aux métopes du Parthénon. Mon nid bouche dans la corniche Le trou d'un boulet de canon. "
L'autre : " J'ai ma petite chambre A Smyrne, au plafond d'un café. Les Hadjis comptent leurs grains d'ambre Sur le seuil d'un rayon chauffé.
" J'entre et je sors, accoutumée Aux blondes vapeurs des chibouchs, Et parmi les flots de fumée, Je rase turbans et tarbouchs. "
Celle-ci : " J'habite un triglyphe Au fronton d'un temple, à Balbeck. Je m'y suspends avec ma griffe Sur mes petits au large bec. "
Celle-là : " Voici mon adresse : Rhodes, palais des chevaliers ; Chaque hiver, ma tente s'y dresse Au chapiteau des noirs piliers. "
La cinquième : " Je ferai halte, Car l'âge m'alourdit un peu, Aux blanches terrasses de Malte, Entre l'eau bleue et le ciel bleu. "
La sixième : " Qu'on est à l'aise Au Caire, en haut des minarets ! J'empâte un ornement de glaise, Et mes quartiers d'hiver sont prêts. "
" A la seconde cataracte, Fait la dernière, j'ai mon nid ; J'en ai noté la place exacte, Dans le pschent d'un roi de granit. "
Toutes : " Demain combien de lieues Auront filé sous notre essaim, Plaines brunes, pics blancs, mers bleues Brodant d'écume leur bassin ! "
Avec cris et battements d'ailes, Sur la moulure aux bords étroits, Ainsi jasent les hirondelles, Voyant venir la rouille aux bois.
Je comprends tout ce qu'elles disent, Car le poète est un oiseau ; Mais, captif ses élans se brisent Contre un invisible réseau !
Des ailes ! des ailes ! des ailes ! Comme dans le chant de Ruckert, Pour voler, là-bas avec elles Au soleil d'or, au printemps vert !