Sujet: Re: Les Poèmes du mois d'octobre 2022 Ven 30 Sep 2022, 03:49
Soirs d'octobre - Émile Nelligan
— Oui, je souffre, ces soirs, démons mornes, chers Saints. — On est ainsi toujours au soupçon des Toussaints. — Mon âme se fait dune à funèbres hantises. — Ah ! Donne-moi ton front, que je calme tes crises.
— Que veux-tu ? je suis tel, je suis tel dans ces villes, Boulevardier funèbre échappé des balcons, Et dont le rêve élude, ainsi que des faucons, L'affluence des sots aux atmosphères viles.
Que veux-tu ? je suis tel… Laisse-moi reposer Dans la langueur, dans la fatigue et le baiser, Chère, bien-aimée âme où vont les espoirs sobres…
Écoute ! Ô ce grand soir, empourpré de colères, Qui, galopant, vainqueur des batailles solaires, Arbore l'Étendard triomphal des Octobres !
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Sujet: Re: Les Poèmes du mois d'octobre 2022 Ven 30 Sep 2022, 03:50
Rayons d’octobre (I) - Nérée Beauchemin
Octobre glorieux sourit à la nature. On dirait que l’été ranime les buissons. Un vent frais, que l’odeur des bois fanés sature, Sur l’herbe et sur les eaux fait courir ses frissons.
Le nuage a semé les horizons moroses, De ses flocons d’argent. Sur la marge des prés, Les derniers fruits d’automne, aux reflets verts et roses, Reluisent à travers les rameaux diaprés.
Forêt verte qui passe aux tons chauds de l’orange ; Ruisseaux où tremble un ciel pareil au ciel vernal ; Monts aux gradins baignés d’une lumière étrange. Quel tableau ! quel brillant paysage automnal !
À mi-côte, là-bas, la ferme ensoleillée, Avec son toit pointu festonné de houblons, Paraît toute rieuse et comme émerveillée De ses éteules roux et de ses chaumes blonds.
Aux rayons dont sa vue oblique est éblouie, L’aïeul sur le perron familier vient s’asseoir : D’un regain de chaleur sa chair est réjouie, Dans l’hiver du vieillard, il fait moins froid, moins noir.
Calme et doux, soupirant vers un lointain automne, Il boit la vie avec l’air des champs et des bois, Et cet étincelant renouveau qui l’étonne Lui souffle au cœur l’amour des tendres autrefois.
De ses pieds délicats pressant l’escarpolette, Un jeune enfant s’enivre au bercement rythmé, Semblable en gentillesse à la fleur violette Que l’arbuste balance au tiède vent de mai.
Près d’un vieux pont de bois écroulé sur la berge, Une troupe enfantine au rire pur et clair, Guette, sur les galets qu’un flot dormant submerge, La sarcelle stridente et preste qui fend l’air.
Vers les puits dont la mousse a verdi la margelle, Les lavandières vont avec les moissonneurs ; Sous ce firmament pâle éclate de plus belle Le charme printanier des couples ricaneurs.
Et tandis que bruit leur babillage tendre, On les voit déroulant la chaîne de métal Des treuils mouillés, descendre et monter et descendre La seille d’où ruisselle une onde de cristal.
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Sujet: Re: Les Poèmes du mois d'octobre 2022 Ven 30 Sep 2022, 03:52
Rayons d’octobre (II) - Nérée Beauchemin
À peine les faucheurs ont engrangé les gerbes Que déjà les chevaux à l’araire attelés Sillonnent à travers les chardons et les herbes La friche où juin fera rouler la mer des blés.
Fécondité des champs ! cette glèbe qui fume, Ce riche et fauve humus, recèle en ses lambeaux La sève qui nourrit et colore et parfume Les éternels trésors des futurs renouveaux.
Les labours, encadrés de pourpre et d’émeraude, Estompent le damier des prés aux cent couleurs. De sillons en sillons, les bouvreuils en maraude Disputent la becquée aux moineaux querelleurs.
Et l’homme, aiguillonnant la bête, marche et marche, Pousse le coutre. Il chante, et ses refrains plaintifs Évoquent l’âge où l’on voyait le patriarche Ouvrir le sol sacré des vallons primitifs.
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Sujet: Re: Les Poèmes du mois d'octobre 2022 Ven 30 Sep 2022, 03:53
Rayons d’octobre (III) - Nérée Beauchemin
Écoutez : c’est le bruit de la joyeuse airée Qui, dans le poudroiement d’une lumière d’or, Aussi vive au travail que preste à la bourrée, Bat en chantant les blés du riche messidor.
Quel gala ! pour décor, le chaume qui s’effrange ; Les ormes, les tilleuls, le jardin, le fruitier Dont la verdure éparse enguirlande la grange, Flotte sur les ruisseaux et jonche le sentier.
Pour musique le souffle errant des matinées ; La chanson du cylindre égrenant les épis ; Les oiseaux et ces bruits d’abeilles mutinées Que font les gais enfants dans les meules tapis.
En haut, sur le gerbier que sa pointe échevèle, La fourche enlève et tend l’ondoyant gerbillon. En bas, la paille roule et glisse par javelle Et vole avec la balle en léger tourbillon.
Sur l’aire, les garçons dont le torse se cambre, Et les filles, leurs sœurs rieuses, déliant L’orge blonde et l’avoine aux fines grappes d’ambre, Font un groupe à la fois pittoresque et riant.
En ce concert de franche et rustique liesse, La paysanne donne une note d’amour. Parmi ces rudes fronts hâlés, sa joliesse Évoque la fraîcheur matinale du jour.
De la batteuse les incessantes saccades Ébranlent les massifs entraits du bâtiment. Le grain doré jaillit en superbes cascades. Tous sont fiers des surplus inouïs du froment.
Déjà tous les greniers sont pleins. Les gens de peine Chancellent sous le poids des bissacs. Au milieu Des siens, le père, heureux, à mesure plus pleine, Mesure et serre à part la dîme du bon Dieu.
Il va, vient. Soupesant la précieuse charge Et tournant vers le ciel son fier visage brun, Le paysan bénit Celui dont la main large Donne au pieux semeur trente setiers pour un.
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Sujet: Re: Les Poèmes du mois d'octobre 2022 Ven 30 Sep 2022, 03:53
Rayons d’octobre (IV) - Nérée Beauchemin
Maintenant, plus d’azur clair, plus de tiède haleine, Plus de concerts dans l’arbre aux lueurs du matin : L’œil ne découvre plus les pourpres de la plaine Ni les flocons moelleux du nuage argentin.
Les rayons ont pâli, leurs clartés fugitives S’éteignent tristement dans les cieux assombris. La campagne a voilé ses riches perspectives. L’orme glacé frissonne et pleure ses débris.
Adieu soupirs des bois, mélodieuses brises, Murmure éolien du feuillage agité. Adieu dernières fleurs que le givre a surprises, Lambeaux épars du voile étoilé de l’été.
Le jour meurt, l’eau s’éplore et la terre agonise. Les oiseaux partent. Seul, le roitelet, bravant Froidure et neige, reste, et son cri s’harmonise Avec le sifflement monotone du vent.
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Sujet: Re: Les Poèmes du mois d'octobre 2022 Ven 30 Sep 2022, 03:55
Soir d'octobre - Léon Dierx
Un long frisson descend des coteaux aux vallées ; Des coteaux et des bois, dans la plaine et les champs, Le frisson de la nuit passe vers les allées. - Oh ! l'angelus du soir dans les soleils couchants ! - Sous une haleine froide au loin meurent les chants, Les rires et les chants dans les brumes épaisses. Dans la brume qui monte ondule un souffle lent ; Un souffle lent répand ses dernières caresses, Sa caresse attristée au fond du bois tremblant ; Les bois tremblent ; la feuille en flocon sec tournoie, Tournoie et tombe au bord des sentiers désertés. Sur la route déserte un brouillard qui la noie, Un brouillard jaune étend ses blafardes clartés ; Vers l'occident blafard traîne une rose trace, Et les bleus horizons roulent comme des flots, Roulent comme une mer dont le flot nous embrasse, Nous enlace, et remplit la gorge de sanglots. Plein du pressentiment des saisons pluviales, Le premier vent d'octobre épanche ses adieux, Ses adieux frémissants sous les feuillages pâles, Nostalgiques enfants des soleils radieux. Les jours frileux et courts arrivent. C'est l'automne. - Comme elle vibre en nous, la cloche qui bourdonne ! - L'automne, avec la pluie et les neiges, demain Versera les regrets et l'ennui monotone ; Le monotone ennui de vivre est en chemin ! Plus de joyeux appels sous les voûtes ombreuses ; Plus d'hymnes à l'aurore, ou de voix dans le soir Peuplant l'air embaumé de chansons amoureuses ! Voici l'automne ! Adieu, le splendide encensoir Des prés en fleurs fumant dans le chaud crépuscule ! Dans l'or du crépuscule, adieu, les yeux baissés, Les couples chuchotants dont le cœur bat et brûle, Qui vont la joue en feu, les bras entrelacés, Les bras entrelacés quand le soleil décline ! - La cloche lentement tinte sur la colline. - Adieu, la ronde ardente, et les rires d'enfants, Et les vierges, le long du sentier qui chemine, Rêvant d'amour tout bas sous les cieux étouffants ! - Âme de l'homme, écoute en frémissant comme elle L'âme immense du monde autour de toi frémir ! Ensemble frémissez d'une douleur jumelle. Vois les pâles reflets des bois qui vont jaunir ; Savoure leur tristesse et leurs senteurs dernières, Les dernières senteurs de l'été disparu ; - Et le son de la cloche au milieu des chaumières ! - L'été meurt ; son soupir glisse dans les lisières. Sous le dôme éclairci des chênes a couru Leur râle entre-choquant les ramures livides. Elle est flétrie aussi, ta riche floraison, L'orgueil de ta jeunesse ! et bien des nids sont vides, Âme humaine, où chantaient dans ta jeune saison Les désirs gazouillants de tes aurores brèves. Âme crédule ! écoute en toi frémir encor, Avec ces tintements douloureux et sans trêves, Frémir depuis longtemps l'automne dans tes rêves, Dans tes rêves tombés dès leur premier essor. Tandis que l'homme va, le front bas, toi, son âme, Écoute le passé qui gémit dans les bois ! Écoute, écoute en toi, sous leur cendre et sans flamme, Tous tes chers souvenirs tressaillir à la fois Avec le glas mourant de la cloche lointaine ! Une autre maintenant lui répond à voix pleine. Écoute à travers l'ombre, entends avec langueur Ces cloches tristement qui sonnent dans la plaine, Qui vibrent tristement, longuement, dans ton cœur !
Dernière édition par Diane M le Ven 30 Sep 2022, 05:48, édité 1 fois
Sujet: Re: Les Poèmes du mois d'octobre 2022 Ven 30 Sep 2022, 03:56
Matin d'octobre - André Lemoyne
Le soleil s'est levé rouge comme une sorbe Sur un étang des bois : — il arrondit son orbe Dans le ciel embrumé, comme un astre qui dort ; Mais le voilà qui monte en éclairant la brume, Et le premier rayon qui brusquement s'allume À toute la forêt donne des feuilles d'or.
Et sur les verts tapis de la grande clairière, Ferme dans ses sabots, marche en pleine lumière Une petite fille (elle a sept ou huit ans). Avec un brin d'osier menant sa vache rousse, Elle connaît déjà l'herbe fine qui pousse Vive et drue, à l'automne, au bord frais des étangs.
Oubliant de brouter, parfois la grosse bête, L'herbe aux dents, réfléchit et détourne la tête, Et ses grands yeux naïfs, rayonnants de bonté, Ont comme des lueurs d'intelligence humaine : Elle aime à regarder cette enfant qui la mène, Belle petite brune ignorant sa beauté.
Et, rencontrant la vache et la petite fille, Un rouge-gorge en fête à plein cœur s'égosille ; Et ce doux rossignol de l'arrière-saison, Ebloui des effets sans connaître les causes, Est tout surpris de voir aux églantiers des roses Pour la seconde fois donnant leur floraison.
Dernière édition par Diane M le Ven 30 Sep 2022, 05:48, édité 2 fois
Sujet: Re: Les Poèmes du mois d'octobre 2022 Ven 30 Sep 2022, 03:58
Octobre à son manteau d'azur fourré - Charles Guérin
Octobre à son manteau d'azur fourré de vair Arbore ce matin les joyaux de l'hiver. Le ruisseau fume, un fin brouillard couvre la berge, Le jardin blanc miroite au soleil, l'herbe fond Et chatoie et ses fils de perles se défont. Un givre étincelant ouvrage d'argent vierge Le buis sombre et la treille et les rosiers. Et toi, Qui foules, attentive au craquement des feuilles, Le sol éblouissant et dur, pleine d'émoi Et de pitié, d'un doigt malhabile, tu cueilles Toute cette rigide et vaine floraison L'œillet déjà tardif de l'arrière-saison, Les pesants dahlias ruchés, les tristes roses Étreintes par leur froide armure de cristal. Et te sachant mourir, hélas du même mal, Tu formes un bouquet de tes sœurs et tu poses Tes lèvres à leur sein glacé, pieusement, Tandis qu'ivre d'amour et d'un secret tourment, Mes yeux mêlés aux tiens que la lumière dore, Je cherche, ô mon enfant trop pensive, à puiser Sur ta bouche en un long et sanglotant baiser Ces parfums qu'une fleur gelée exhale encore.
Dernière édition par Diane M le Ven 30 Sep 2022, 05:46, édité 2 fois